Liquid [ Mikaru ]

Vêtue de sa tenue d'Assassin, ses bottes frôlaient l'herbe foisonnante, grimpant sur les pierres abandonnées depuis plusieurs siècles. La mousse en recouvraient par endroit, et cette cité, autrefois florissante, n'était plus qu'un tas de ruines à l'heure actuelle. Newydd avait remplacé Cyn, la capitale autrefois faite de pierres et de verdures, n'était plus qu'un amas de technologies et de câbles électriques. Les talonnettes frappaient sans violence contre les pierres froides, l'herbe frottant en silence sous les semelles. Les pans de ses vêtements flottaient doucement derrière elle, la capuche lui protégeant le visage du soleil.

Mais elle n'était pas ici pour une simple promenade de santé. Aoi l'avait chargée d'une mission. Un homme, un humain, âgé d'une quarantaine d'année, traînait des femmes en ces lieux afin d'abuser de leur corps en toute quiétude, avant de les tuer dans ce silence morbide, loin de toute présence qui pourrait l'interrompre. Mais les chasseurs veillaient, tels les ombres de la justice. Et pour ce criminel, un châtiment tout préparé était en route.

Elle l'avait suivi depuis plusieurs jours déjà, et avait vite compris qu'il avait une nouvelle proie. Une jeune barmaid d'environ vingt-cinq ans, aimant les sorties en plein air et passionnée par l'Histoire. Il l'avait séduite ainsi, et pour l'attirer dans son piège, lui avait proposé une sortie dans les ruines de Cyn. Quel meilleur endroit pour une jeune femme ayant fait des études afin de devenir une historienne ? Il n'y en avait pas... Et Jyou avait suivi l'homme, qui avait vite été repéré par sa future victime. Ensemble, ils marchaient à travers les maisons délabrées, sans toit, parfois complètement détruites. Dissimulée par les murs, elle veillait à trouver le bon moment afin de planter sa lame dans le corps de cet être immonde.

Et il arrive. Il commença à se montrer pressant avec la jeune femme, qui se débattait, finissant par hurler. Jyou intervint, plantant sa dague à la lame courbée dans l'épaule de l'homme. Privé de la mobilité de son bras, sa victime put s'enfuir à toutes jambes. Le tenant par la gorge, elle l’émascula d'un coup sec de sa lame, le laissant souffrir avant de le tuer d'un coup de sa petite lame dissimulée dans le bracelet de son avant-bras, en travers de la gorge. Elle le coucha à terre et lui ferma les yeux, murmurant une brève prière, demandant à Cerridwen et Arawn d'accorder à ce criminel une mort adéquate à la vie qu'il avait menée.

Se redressant, se remettant droite, Jyou continuait de regarder ce criminel étendu à terre. Elle resta plusieurs secondes ainsi, avant de se détourner du cadavre, prévenant par un simple sms que la mission était accomplie, donnant la position du corps. Rangeant ses lames, Jyou leva les yeux vers le ciel. La lune était encore haute, la nuit n'était pas terminée, elle venait tout juste de commencer. Ne se doutant pas qu'elle était observée, elle ôta sa capuche, secouant par la suite ses cheveux. L'air était frais et vivifiant en ces lieux déserts. Déserts... L'étaient-ils vraiment ? En tout cas, Jyou le croyait, ne se doutant nullement qu'elle était observée en cet instant même.

Mais elle entendit un craquement et remit d'un coup vif la capuche sur sa tête, dissimulant alors son visage. Elle dégaina sa dague à la lame courbée qu'elle avait rangée dans son dos, se mettant en position d'attaque. Cependant, elle resta silencieuse, son regard balayant les alentours. C'est alors qu'elle remarqua une ombre au sol... Quelqu'un était présent et l'observait, caché par les murs comme elle l'avait fait quelques instants auparavant. Croyait-il l'avoir bernée ? Jyou le lui laissa croire, pensant qu'il ne devait s'agir que d'un simple humain qui l'avait suivie pour une quelconque raison. Elle fit quelques pas, puis d'un geste rapide, prit entre deux doigts l'un de ses petits couteaux à sa ceinture, en jetant un aux pieds de l'ombre, lui faisant ainsi comprendre qu'elle avait remarqué sa présence. Tout cela fut fait en un éclair, Jyou grimpant par la suite le long d'un mur, avec l'agilité et l'aisance d'un chat. Elle pratiquait l'escalade libre depuis qu'Aoi l'avait secourue et en avait fait sa protégée, sa petite soeur.

Une fois en haut, elle regarda le sol, découvrant alors la personne à qui appartenait l'ombre. Un homme avec une chevelure coiffée en crinière sauvage. De haut, elle ne pouvait guère parfaitement distinguer son visage, mais il semblait être un jeune homme dans la force de l'âge. Elle eut un faible sourire, amusée de voir qu'elle avait été suivie. Du haut de son perchoir, la lune derrière elle et l'éclairant de ses rayons, Jyou restait silencieuse dans son observation, son visage redevenant neutre et fermé aux autres. Puis, elle se retourna vivement, s'éloignant de cet importun qui aurait très bien pu découvrir son identité, sautant de mur en mur, restant en hauteur, courant rapidement.

Jyou fut surprise qu'il se retrouve devant elle. Mais à se téléporter ainsi, elle comprit qu'il n'était pas humain, surtout avec cet air qu'il arborait. Malheureusement, elle perdit l'équilibre. Elle se rattrapa de justesse au rebord du mur, soupirant. Heureusement qu'elle avait des réflexes. Levant les yeux vers l'homme, elle fut étonnée de le voir si près. Elle jeta un coup d'oeil en bas et décida de se laisser tomber. Il y avait de la mousse en bas, ainsi sa chute serait amortie. Elle se releva rapidement et courut à nouveau.

Mais Jyou n'était pas stupide, elle savait qu'avec un tel don, il n'aurait aucun mal à la rattraper. Cependant, elle ne pouvait pas rester là non plus. Les autres n'arriveraient pas avant un long moment, alors il fallait rentrer à Newydd au plus vite. Mais la ville était loin, et Jyou, toute mortelle qu'elle était, risquait de s'épuiser avant d'y parvenir. Ne regardant pas derrière elle, elle fonçait à toute allure, faisant de grandes enjambées alors qu'elle courrait à travers les ruines, grimpant et sautant sur les pierres, agile et rapide telle une panthère sauvage.

Une langue ? Bien sûr qu'elle en possédait une, mais la dévoiler, comme à chaque fois qu'elle narguait quelqu'un, risquerait de lui coûter très cher, notamment face à un démon. Alors Jyou ne s'y risqua pas, restant sur ses gardes. Elle ne lui obéit pas, ne baissant pas son arme, la tenant toujours fermement dans sa main, ses doigts bougeant pour ne pas avoir de fourmis. Un tel homme était une menace, et alors qu'elle se souvenait de la nature vampirique de ce démon, Jyou eut un flash. Aoi haïssait les Vampires... mais pour quelle raison ? Elle l'ignorait, il n'avait jamais délié sa langue sur ce sujet. Peut-être que cet homme qui se tenait face à elle pourrait éclairer sa lanterne.

Se redressant alors qu'elle était auparavant en position d'attaque, Jyou se remit droite sur ses jambes. Elle fit pivoter sa lame entre ses doigts, pointant le bout face au démon. Son regard restait calme et elle décida de ranger sa lame dans son fourreau, dans son dos, la maniant avec dextérité. Son regard restait toujours imperturbable, et elle remit sa capuche, dissimulant à nouveau son visage aux yeux des autres.

Pourquoi les vôtres et la famille d'Aoi se haïssent mutuellement ?

Voilà qui était pour le moins surprenant. Il ne cachait rien de la barbarie dont pouvaient être capables les démons, il en semblait même fier. Mais Jyou se demandait si cela valait vraiment la peine d'égorger, malgré une faim oppressante ? Ils ne dévoraient pas la chair, comme les prédateurs animaliers pourtant. Elle ne le comprenait pas, c'était pour elle quelque chose de parfaitement abstrait.

Vous semblez fier de vos crimes.

Mais qui était-il ? Un simple vampire parmi tant d'autres ? Ou un haut placé dans la hiérarchie démoniaque ? Jyou n'avait entendu parlé que rarement d'un homme portant le titre de Roi ds vampires, et contre lequel Aoi vouait une haine puissante. Il ne lui avait jamais donné la raison exacte, et cela l'ennuyait... Pourquoi avait-il une si profonde rancoeur contre un homme en particulier ? Lui avait-il causé du tort de façon direct ?

Je n'ai guère d'autre question, l'habitude ne m'est pas de converser avec un démon.

Cette habitude ne me sied guère.

Elle fut surprise de sa rapidité mais n'eut que le temps de sortir la lame cachée dans son brassard qu'il lui enserra les poignets, la plaquant au mur. La fine lame, forgée dans un métal quasi indestructible car prit à la fois des Enfers et du Paradis, restait sortie de son fourreau coulissant. Jyou retint un cri de douleur, il n'y était pas allé de main morte en la mordant. La douleur et le plaisir se mélangeait, et alors elle comprit pourquoi on décrivait la morsure des vampires telle un poison, une drogue. Mais elle devait résister et quand il se détacha, ses esprits revinrent d'un seul coup.

Il revint face à elle, semblant satisfait de son crime. Elle lui lança un regard meurtrier, lui souhaitant une douleur aussi vive que celle qu'elle venait de ressentir. Trois fois elle s'était fait mordre, n'en avait-il guère assez ? Voulait-il la vider lentement de son sang ? Malgré cette pensée, Jyou ne souhaitait perdre la face. Elle attrapa un couteau avec vivacité, entre deux doigts, et le lança sur lui. Elle avait été suffisamment rapide pour planter la lame dans le ventre de l'homme, mais elle n'avait pas assez prit son temps pour viser là où elle l'avait souhaité, c'est-à-dire à l'épaule.

Abstenez-vous.

Ses yeux furent grand ouverts alors qu'elle le vit disparaître. Où allait-il donc ?

AAH !

Un cri de douleur passa ses lèvres, la lame se retrouvant plantée dans son ventre, à l'endroit exact où elle l'avait envoyée sur le corps du vampire. Puis ce fut ses poignets qui furent brisés avant qu'elle ne tombe sous le poids de la douleur, ses jambes ayant faiblis à cause de la perte du sang et de sa douleur poignante au ventre.

Il parlait mais ses mots ne parvinrent nullement à ses oreilles, le sang y battant déjà avec force. Elle souffrait, mais elle devait rester en vie, elle se battait alors pour garder son âme en elle. Le vampire partit, la laissant seule en ces lieux, agonisante. Jyou prit ses forces et envoya un sms à l'un de ses contacts chasseurs, lui disant qu'elle était blessée et avait besoin d'aide de toute urgence. Elle le rédigea avec faiblesse, et quelques secondes après l'avoir envoyé, elle s'évanouit.

Elle ne sentit guère qu'elle fut secourue et transportée, et encore moins par celui qui l'avait poignardée par vengeance. Ses yeux s'ouvrirent alors qu'elle s'éveillant lentement, une douleur la prenant au niveau de son ventre. Mais quelque chose de doux était sous elle, et elle ne sentait plus le poids des vêtements. Elle leva sa main et remarqua qu'on lui avait ôté ses habits d'Assassin, Jyou se retrouvant désormais en pantalon et en chemise ample, vêtements qu'elle portait sous sa tenue.

Sebastian ?

Le nom du médecin qui s'occupait d'elle après chacune de ses missions. Ce ne pouvait être que lui qui s'était permis de lui ôter ses vêtements et de la soigner. Elle était encore avec ses bottes, et fut étonnée de cela, ce n'était aucunement dans les habitudes de Sebastian. Parcourant de son regard l'endroit, elle remarqua rapidement qu'elle n'était pas chez son médecin et ami... Mais où pouvait-elle bien être ? La réponse se fit savoir rapidement.

Vous ?

Cet homme qui l'avait poignardée ? Ce vampire ? Mais pourquoi ?

Pourquoi m'avez-vous amenée ici ? Est-ce vous qui m'avez soignée ?

Jyou fronça les sourcils et se redressa, sortant du lit. La douleur de sa blessure la lança, mais elle se retint pour ne pas tomber. Elle se mit dos à lui et ouvrit sa chemise, examinant ainsi en silence la blessure qu'elle avait. La plaie semblait parfaitement nettoyée et désinfectée, le bandage était propre et mit de façon à laisser une respiration. Elle referma la chemise, restant dos à cet homme qui possédait une chambre du plus grand luxe.

Pourquoi l'avez-vous fait ?

Qu'avait-il à y gagner ? Il n'avait rien à gagner, tout à perdre bien au contraire. Pourtant, il l'avait faite soignée avec toutes les précautions nécessaires et avec un grand savoir-faire. Dans quel but ? Un soupira passa ses lèvres, alors que son regard se perdait dans la pièce. Les rideaux et volets étaient tirés, le soleil devait s'être levé depuis bien longtemps.

Je suis bien assez grande pour rentrer seule. Mes jambes me supportent.

Dangereux ? Jyou eut un sourire amusé. Le danger n'était rien d'autre que son quotidien, le côtoyant à chaque seconde qui défilait dans sa vie. Elle n'avait nullement peur, et était prête à affronter ce qui l'attendait dehors. Mais cependant, une question trottait dans sa tête... Où était-elle ? Dans une maison quelconque ? Ou bien là où elle avait passé les six premières années de sa vie, auprès de son père malade et de ses bourreaux vampires ? Elle l'ignorait, et n'ignorait pas le moyen de connaître la réponse.

Il lui proposa de la laisser en paix dans cette chambre, mais Jyou ne croyait pas en une innocence, notamment de la part d'un démon. Elle se releva à nouveau, se mettant encore une fois debout sur ses jambes. Le regardant droit dans les yeux, elle s'éloigna en le contournant.

Alors je vais sortir.

Elle alla vers la porte et l'ouvrit, décidant de parcourir les couloirs afin de savoir où elle avait été emmenée. Mais une chose lui trotta à nouveau dans la tête, une question différente mais tout aussi importante. Tournant la tête vers le vampire, elle le regarda avant de lui poser une nouvelle question.

Où avez-vous déposé mes effets ?

Alors quoi ? Elle allait rester ici ? Enfermée dans cette chambre ? Mais ce n'était nullement dans les intentions de Jyou. Elle n'était pas désireuse de rester enfermée pendant des heures, n'ayant pas la moindre idée de l'heure qu'il était. Elle ne devait donc que s'en remettre au temps. Et lui ? Qu'avait-il ? La fuyait-il comme la peste ? Jyou lui lança un regard assassin, n'ayant pas d'autre choix que de rester impassible. Elle n'avait pas la moindre défense réelle contre un démon, et les volets étaient clos de façon bien trop forcée pour qu'elle puisse les ouvrir avant de se faire attraper.

Voici ma réponse à votre question de tout à l'heure : oui, votre présence m'importune.

Rester ici, enfermée, cela passait encore. Mais elle ne souhaitait guère être ici avec cet homme qui l'avait sauvagement agressée. Mais il était toujours aussi plein de questions que la belle Jyou se posaient sans cesse. Pourquoi l'avait-il sauvée et soignée ? Mais également, pourquoi l'empêchait-il de sortir ? Elle était une chasseuse, et pas n'importe laquelle mais cela il devait sans doute l'ignorer. Toujours était-il qu'elle ôtait la vie de vampires... Alors pourquoi la gardait-il en vie ?

Jyou ouvrit grand les yeux, étonnée et même outrée par ses propos. Dire que c'était lui-même qui lui avait proposé de sortir si sa présence n'était pas désirée... Il la lui imposait. Quel mufle. Elle n'eut qu'un soupir, décidant de tourner le dos à cet homme arrogant et sournois. Sa compagnie était vraiment aussi délicieuse qu'un poison amère, exécrable au possible. Mais elle ne devait en aucun cas lui en faire part, ni même le lui faire comprendre. Bien que son silence serait une preuve qu'elle n'appréciait guère le savoir dans la même pièce. Cependant, elle ne devait en aucun lui adresser la parole, n'ayant aucunement cette envie.

Elle tournait comme une lionne en cage, regardant chaque objet, chaque coin, n'ayant d'autre occupation que celle de la curiosité. Elle remarqua une autre porte et décida d'aller l'ouvrir. Jyou découvrit alors une salle de bain de luxe, quelque chose que l'on ne voyait que dans les livres ou les hôtels avec au minimum quatre étoiles. Elle était impressionnée d'un tel luxe, et décida d'entrer à l'intérieur, touchant le marbre blanc et les dorures avec précaution. Tout était somptueux. Etait-il d'un rang élevé pour posséder autant de luxe, non seulement dans une chambre mais également dans une salle de bain privée ?